Louis Sébastien Marie de Tredern de Lézerec est né le 14 septembre 1780 à Brest dans une famille de marins. Son père, Jean Louis (1742-1807) a participé à la guerre d’indépendance américaine en qualité de capitaine de la royale avant s’être promu directeur de l’Académie de marine de Brest. La Révolution met fin à l’existence bretonne de cette famille et ils émigrent vers la Russie. Étonnamment, ils ne le font qu’en 1796. On a cette habitude de croire que la Terreur s’arrête avec la chute de Robespierre, mais en fait le règne des Terroristes ne se termine pas d’un coup et une longue période d’instabilité commence avec Thermidor, des exécutions et des déportations continuent et la Chouannerie par exemple sera toujours poursuivie sous l’Empire. La famille Tredern se rend donc à Saint-Pétersbourg et le jeune Louis trouve dès 1797 un embarquement de sous-officier sur le Pimen, un navire ancré dans l’actuel Talin, en Estonie alors province de l’empire russe.
Le Pimen portait 66 canons et avait été construit en 1789. À partir de 1799, il change de navire et des témoignages rapportent que déjà il ne s’intéresse qu’à l’embryologie et à l’anatomie comparée et qu’il a transformé en cabinet d’étude son étroite cabine. En 1801, Monsieur de Trédern père, à la suite de ses demandes et de celles d’amis, est rayé de la liste des émigrés par Bonaparte et il peut regagner la France en août pour venir mourir quelques années plus tard, en 1807, à Quimper. Son fils l’accompagne et séjourne en France, probablement en Bretagne puis à Paris où il se fait passer pour un russe (plus valorisant sans doute qu’ancien émigré !) né à Talin et s’inscrit à l’Académie de peinture et de sculpture. Il est l’élève de Regnault qui présente certaines de ses œuvres picturales le 21 avril 1803. Ce goût de la peinture est attesté par une lettre de Théophile-Marie Laennec (18 février 1804) à son cousin René-Théophile, le savant, qui était un cousin éloigné de Louis de Trédern et étudiait la médecine dans la capitale.
En octobre1804, il se rend à Würzbourg, en Bavière, pour y étudier la médecine. Il étudie auprès d’Ignaz Döllinger (1770-1841), un des plus fameux spécialistes en Europe d’embryologie et d’anatomie comparée. En 1807, après le décès de son père, il s’installe à Göttingen et présente ses expériences sur l’embryon de poulet et les dessins qu’il a réalisés sur ce thème à Johann Friedrich Blumenbach (1752-1840) , le fondateur de la zoologie et de l’anthropologie scientifiques, fermement opposé aux théories préformistes, tenant de l’épigénèse, un représentant du vitalisme et un théoricien des races dans la perspective du livre de Kant Von den verschiedenen Racen der Menschen. Blumenthal l’aide à choisir le sujet de sa thèse à partir de ces travaux. Celle-ci terminée, il se rend alors à Jena en avril1808, pour la soutenir et la faire imprimer. Il choisit sans doute Jena parce qu’un ami, Lorenz Oken (1779-1851), médecin et philosophe, vient d’y être nommé professeur. Sa thèse, en latin, précise que l’auteur est Estonia-Rossus, membre de la société de minéralogie de Jena (à laquelle appartient d’ailleurs son cousin Pierre Marie Sébatien Bigot de Morogues (1776-1840), géologue ayant visité l’Allemagne, fils du fondateur de l’Académie de Marine) : Ludovicus Sebastianus Tredern, Dissertatio Inauguralis Medica Sistens Ovi Avium Historiae et Incubationis Prodromum . Des témoins de l’époque assurent qu’il travaille assidûment sur les embryons d’oiseaux. À Jena, il entre à l’école des Forêts de Dreissigacker, près de Meiningen-Jena, une école réputée et particulièrement important pour l’ornithologie. Il y étudie en 1808-1809 tout en continuant ses recherches et s’inscrit en qualité d’Estonien. Il retourne à Göttingen vers la fin de l’année 1808, puis de nouveau à Dresissigacker.
On le retrouve à Paris en 1810 où il fait partie de la Société des Sciences physiques, médicales et d’agriculture d’Orléans. Il se présente comme « Docteur » en médecine. En juillet 1811, il est inscrit à la faculté de médecine de Paris où il présente en août sa seconde thèse de médecine sur l’organisation et l’hygiène des hôpitaux modernes : Propositions sur les Bases fondamentales d’après lesquelles les Hôpitaux doivent être construits, Thèse de la Faculté de Paris, no 104. Sa trace se perd ensuite : des amis et des chercheurs le cherchent en vain car ils sont très intéressés par sa thèse sur le développement de l’embryon, thèses que tous ces spécialistes jugent exceptionnelles. Tout au long du siècle, son nom se retrouvera, cité dans les revues scientifiques européennes et surtout allemandes. Pour les embryologues modernes, il demeure un chercheur essentiel sans lequel l’embryologie aurait longtemps piétiné. Pourtant, avec son départ d’Allemagne, il semble ne plus se préoccuper de ce qui avait été sa passion…
En 1813, l’Almanach Impérial l’indique comme libraire à la Bibliothèque Mazarine au salaire de 2400 francs, poste qu’il a sans doute obtenu grâce à un des membres de son jury de thèse, Philippe Petit-Radel, dont le frère est administrateur de cette bibliothèque. Ce poste bien rémunéré et peu prenant lui laisse assez de loisirs pour ses travaux scientifiques. Il fait aussi partie des 12 médecins légistes attachés à la Cour de Justice impériale, avec son cousin René-Théophile Laennec (1781-1826). Peu après, il décide de se rendre en Guadeloupe le 13 janvier 1817, officiellement pour remettre de l’ordre dans des affaires de famille. Ce séjour devait avoir une issue fatale : le 8 novembre 1818, il meurt victime de la fièvre jaune à Saint-Louis, un petit port de l’île. Son testament (rédigé le 8 novembre 1818), ne fait pas état d’une propriété quelconque. Dans l’état actuel des recherches, on se sait pas pourquoi il a quitté deux emplois bien rémunérés ni pourquoi d’ailleurs, il a quitté l’Allemagne et abandonné ses recherches si prometteuses sur l’embryologie.
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