Le 21 juin 2014, je venais d’arriver en Bretagne avec l’été, à Morlaix exactement, lorsque j’appris une nouvelle qui m’attrista beaucoup : Hélène Cadou venait de mourir. Quelques années auparavant, à Nouméa, où j’enseignais à l’IUFM, on m’avait beaucoup parlé, à moi le Breton, du court séjour qu’Hélène avait fait sur le Caillou, rencontrant élèves et professeurs, récitant ses textes et ceux de René-Guy, semant partout où elle allait la poudre d’or de la poésie. J’avais lu avec émotion son livre Le bonheur du jour, mais assez tard, car ma vraie rencontre avec René-Guy Cadou date de ce jour lointain où j’ai assisté à un concert de Gilles Servat dans un petit bistrot de Merlévenez. Gilles avait mis en musique un texte du poète de Louisfert. Je ne partage pas l’avis de Victor Hugo quand il défendait « de déposer de la musique le long de mes vers » (mais qui l’autorisa en bien des cas !) : je pense qu’une mélodie respectueuse du texte et une belle voix peuvent parfois servir la poésie. Aragon chanté par Ferrat, c’est tout simplement magnifique ; Cadou interprété par Servat, c’est tout simplement beau et poignant, même si les textes se suffisent évidemment à eux-mêmes ! J’avais tellement été impressionné par ce concert que j’avais acheté les œuvres complètes du poète, que je connaissais peu, et je m’étais empressé d’acquérir un peu plus tard la cassette que le barde breton, délaissant un moment les combats qui étaient les siens, venait de lui consacrer entièrement.
Hélène Laurent était de Mesquer, en Loire-Atlantique. Après ses études de philosophie, elle a rencontré René Guy Cadou dont le recueil Les Brancardiers de l’aube (1937), l’avait bouleversée. René-Guy et Hélène se marient en 1946 et vivent à Louisfert où ils enseignent, écrivent, reçoivent quantité d’amis. Après la mort de René-Guy en 1951, Helène se consacre à la mémoire du disparu et publie ses propres recueils poétiques aux éditions Seghers. La muse de René Guy Cadou (Hélène ou le règne végétal)- qui a écrit, pour elle, quelques-uns des plus beaux poèmes d’amour – fait transformer une partie de l‘école de Louisfert en un Musée René-Guy Cadou qui rassemble des témoignages émouvants sur la vie du poète.
Je me suis bien sûr rendu à ce pèlerinage. C’est à Sainte-Reine-de-Bretagne que le poète est né et c’est dans ce village que sont ancrés de nombreux textes poétiques, car l’enfance, le temps qui passe sont des thèmes importants de l’œuvre de Cadou. Il faut se promener dans les rues de la petite cité avec en mémoire quelques-uns de ses poèmes, passer devant la vieille fontaine (tarie malheureusement) dans le pré de l’ancienne cure, près de la mairie, contourner l’église pour découvrir la vieille Forge après avoir contemplé la croix de la Place de l’Église avec ses deux faces sculptées représentant le Christ et peut-être Ste Reine. Près du calvaire, non loin de la mairie, la maison natale du poète, une allée piétonne est bordée de ses poèmes.
Puis, se rendre à Louisfert, près de Châteaubriant, la ville des martyrs, auxquels Cadou a consacré un poème déchirant, visiter le musée, dans l’ancienne classe où René-Guy fut instituteur de 1946 à 1951.
Que dire de Cadou après la magnifique et perspicace notice que lui a consacrée Charles le Quintrec dans ses Grandes heures littéraires de la Bretagne ? Après les ouvrages d’Hélène ? Rien sans doute, sinon qu’il faut lire son œuvre, car René-Guy Cadou est la poésie même, sans afféterie, sans artifices. La sincérité le guide, son chant est expression totale d’une sensibilité exacerbée par un regard à la fois précis et une mémoire vive. Un chant parfois mélancolique avec pour accompagnement la sourde prescience d’une vie qui sera courte alors qu’il a tant à dire, tant à montrer !
Le lyrisme qui sous-tend naturellement son verbe est naturel et original. Il disait que « Toute la poésie qui coule de source se jette dans la mer, tend à l’universel. »
Je puis dire qu’il n’est pas de semaine où je ne m’installe avec lui dans le fauteuil de mon bureau pour lire – à voix haute – quelques pages, pour passer avec lui quelques instants. Passés les moments d’émotions qui serrent la gorge, (comme à chaque fois que je récite entre autres « Mourir pour mourir ») je le quitte, rasséréné et un peu nostalgique, heureux.
Je ne dirais rien de René-Guy, poésie la vie entière : il n’a pas besoin de mes phrases. Il faut le lire. Je lui laisserai seulement un instant la parole pour trois poèmes que Gilles Servat a su magnifiquement mettre en musique et chanter :
Sainte-Reine-de-Bretagne
En Brière où je suis né
À se souvenir on gagne
Du bonheur pour des années !
Est-ce toi qui me consoles
Lente odeur des soirs de juin
Le foin mûr des tournesols
Le chant d’un oiseau lointain ?
C’est la pluie ancienne et molle
Qui descend sur le jardin
Et ma mère en robe blanche
Un bouquet dans chaque main.
LES AMIS D’ENFANCE
Je me souviens du grand cheval
Qui promenait tête et crinière
Comme une grappe de lumière
Dans la nuit du pays natal.
Qui me dira mon chien inquiet,
Ses coups de pattes dans la porte,
Lui qui prenait pour un gibier
Le tourbillon des feuilles mortes
Maintenant que j’habite en ville
Un paysage sans jardins,
Je songe à ces anciens matins
Tout parfumés de marguerites.
*
Odeur des pluies de mon enfance,
Derniers soleils de la saison !
À sept ans, comme il faisait bon,
Après d’ennuyeuses vacances
Se retrouver dans sa maison !
Pleine de guêpes écrasées
Sentait l’encre, le bois, la craie
Et ces merveilleuses poussières
Amassées par tout un été !
Ô temps charmants des brumes douces,
Des gibiers, des longs vols d’oiseaux,
Le vent souffle sous le préau,
Mais je tiens entre paume et pouce
Une rouge pomme à couteau !
Tous droits réservés François Labbé.