Claude Le Coz, l’évêque révolutionnaire

Dans les chroniques précédentes, j’ai évoqué quelques figures de jésuites bretons qui ont eu dans les lettres une importance indéniable. Je conclurai ce chapitre sur la docte Compagnie en Bretagne par le rappel de la figure d’un des derniers d’entre eux pour le XVIIIe siècle, moins pour ses contributions littéraires que pour son extraordinaire parcours de vie.

Claude Le Coz naît le 22 décembre 1740 au village de Rodou-Glas en Plounévez-Porzay. Il naît dans une famille d’artisans tisserands aisés sans être riches, mais qui lui permettent ce premier pas vers une situation supérieure : des études chez les jésuites de Quimper où il est condisciple de La Tour d’Auvergne et de Le Brigant avec lesquels il restera sa vie durant en contact.

Il est un élève doué mais n’envisage rien d’autre que de rester au service de la Compagnie, comme enseignant. Il fera sa théologie en enseignant les humanités. Lorsque les jésuites sont supprimés en France en 1762, comme tous ses confrères, il doit choisir entre rentrer dans la vie civile pour y choisir une nouvelle situation, quitter la France ou poursuivre ses activités dans l’ancien collège jésuite transformé. Comme la majorité des jésuites, il choisit la dernière solution et devient collaborateur de l’abbé Bérardier qui s’est chargé de la direction du nouveau collège. Lorsque Bérardier part pour Louis-le-Grand (où il sera un professeur de Robespierre, Luce de Lancival et Camille Desmoulins), il lui succède comme principal.

Il est aussi de 1778 à 1791 le dernier prieur de Locamand. En 1069, le duc de Bretagne Hoël II, comte de Cornouaille, avait fait don à l’abbaye Sainte-Croix de Quimperlé de ce prieuré  mais, le 31 mai 1623, une bulle du pape Grégoire XV l’avait attribué au collège des jésuites de Quimper. Le père Maunoir vint à plusieurs reprises y prêcher.

Le Coz tout naturellement afferme en 1782 le prieuré et ses dépendances pour 9 ans à Joseph Toussaint Yves Marie de Kernilis (manoir de Lesbourg). Consciencieux et travailleur, il est aussi profondément religieux et ne se manifeste pas par une attitude particulièrement frondeuse, mais on sait que le fameux abbé Meslier avait passé sa vie (par pitié pour ses ouailles, dit-il) sans dévoiler ses idées et qu’il fallut attendre la révélation (partielle) de son Testament par Voltaire pour découvrir le brûlot de sa pensée et en déduire que bien des prêtres étaient probablement comme lui. Le nombre de révolutionnaires issus de l’Église est d’ailleurs important…

Toujours est-il que dès 1789, il fait partie de ceux qui s’enthousiasment pour les nouvelles idées. Il est élu procureur-syndic du district de Quimper. Très vite, il se manifeste comme particulièrement radical et défend de sa plume la Constitution civile du clergé (voir son  Accord des vrais principes de la morale et de la raison sur la Constitution civile du clergé).  Il prête le serment constitutionnel et est alors élu évêque constitutionnel d’Ille-et-Vilaine en février 1791 en remplacement de l’évêque non jureur Barreau de Girac. Cet ancien jésuite est alors un des piliers de l’Église constitutionnelle à l’esprit modéré et très religieux, vivant pauvrement. Il est ensuite élu député d’Ille-et-Vilaine à l’Assemblée législative (3 septembre 1791). Cependant, ce partisan d’une Église soumise à l’État (ce qui étonne de la part d’un ancien jésuite) s’oppose à ceux veulent aller plus loin, qui souhaitent la disparition de toutes les distinctions « ostentatoires », dirait-on aujourd’hui ou qui prônent le mariage des prêtres catholiques et, s’il demande la suppression des congrégations religieuses contemplatives, il sait que le nouvel état n’est pas en mesure de mettre en place une École publique et s’oppose à la suppression des congrégations enseignantes.

Après le 10 août, contrairement à bien  d’autres qui sentent le vent tourner, il est contre la suspension du roi, une opinion qui ne l’empêche pas d’être membre du directoire du département d’Ille-et-Vilaine. Cependant, son hostilité à Carrier, le bourreau de Nantes, et ses prises de positions réitérées contre le mariage de prêtres le font enfermer 14 mois au Mont-Saint-Michel (où il s’arrange pour préserver de la mort des Chouans incarcérés, qui avaient mis sa tête à prix !), ce qui aura été une chance pour lui car il aurait très bien pu devoir se rendre à Paris pour y être incarcéré et subir le lot commun sous la Terreur. On peut comprendre son opinion négative de la république : « Un État fondé sur la violence, l’injustice, la mauvaise foi, l’impiété, l’immoralité ». Il retrouve ses prérogatives après Thermidor, mais, sous le Directoire, il continue à faire entendre sa voix quand il n’est pas d’accord comme lorsqu’on remplace le dimanche par le décadi, ne voyant dans cette « réforme » qu’une inutile opération. Il préside les conciles nationaux de 1797 et de 1801 qui mènent au Concordat vers lequel il tend. Il fait alors partie des 12 évêques constitutionnels nommés à la tête d’un diocèse concordataire et devient, le 9 avril 1802 archevêque de Besançon où il aura affaire à une opposition vigoureuse. Il est depuis longtemps ami de l’ancien évêque de Tréguier, l’abbé Grégoire, avec lequel il partage bien des idées, mais avec l’Empire, il s’en éloigne tant il désire jouer un rôle dans la politique impériale au prix même de bien des concessions. Ainsi, il fait certes partie des quelques évêques qui, en 1804, considèrent que l’empereur fait payer chèrement leur soumission en exigeant la rétractation de leur serment républicains, car elle leur paraît, à juste raison, s’opposer aux dispositions concordataires, mais en même temps, par ambition personnelle, il multiplie les manifestations d’allégeance, allant jusqu’à signer une formule de soumission aux brefs du pape, ce que n’apprécie évidemment pas l’abbé Grégoire, l’autorité morale de l’ancienne Église nationale !  À sa décharge, on peut dire qu’il voit en l’empereur un phare spirituel et politique, l’homme providentiel qui a restauré le catholicisme et qui est le guide de la « Grande nation », seule capable de rapprocher les peuples d’Europe, voire du monde. Il voit en lui la seule puissance capable de soutenir la « sociabilité » dont il investit le christianisme, porteur d’un message universel. Dans les années qui vont venir, comme bien d’autres, il verra dans les guerres des nécessités « justes » avec une Grande armée propageant les idéaux républicains et évangéliques, qui, à son avis vont de pair. En 1812 encore, dans son mandement pour le Carême, il prône son rêve d’une France civilisatrice (par le glaive !), d’une chrétienté moderne néo-constantinienne menée par l’Empereur…

Nous touchons à une nouvelle conscription ; les besoins de l’État l’exigent […] Vouloir contrarier cette conscription ou s’y soustraire, ce serait un crime contre le Gouvernement que la divine Providence nous a donné et contre la Religion que nous avons le bonheur de professer. […] Aimer et défendre notre Patrie, c’est encore un devoir que nous commande notre divine Religion […] En vertu de cet ordre divin, nous avons un droit réel à la protection de notre Gouvernement et celui-ci un droit acquis à nos services ; […] Aussi même dans les armées des Empereurs païens et persécuteurs, quels étaient les soldats les plus braves et les plus intrépides ? Les soldats chrétiens.

À ce niveau, le rêve frôle la folie car Le Coz ne peut ignorer que nombreux sont les soldats de la Grande armée qui, dans les hôpitaux et les camps de Moscou ou d’ailleurs refusent les sacrements et ne se comprennent en rien comme de nouveaux croisés ou des missionnaires ! De telle parole annoncent en outre le terrible « Gott mit uns » !

En décembre 1813, son Instruction pastorale sur l’amour de la patrie,  renchérit et n’est qu’une longue louange adressée à l’empereur.

Il écrit encore à Cambacérès en 1815 :

En 1791, en 1792, nos jeunes fous parlaient de révolutionner l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, d’aller planter des municipalités à Vienne, à Berlin, à Rome, etc. Ces rêves d’une jeunesse bouillante pourraient bien se réaliser par les sages proclamations de notre prodigieux Napoléon et par les maximes administratives dont il déclare vouloir faire les lois fondamentales de son nouveau règne. Puisse ce règne devenir l’époque des vraies lumières, de la sage liberté, de la paix de l’Europe, de l’humanité, de la religion, des moeurs et du bonheur de tous les peuples.

L’épisode napoléonien passé, il ne pouvait qu’être hostile à la Restauration. Il s’éteint quelques semaines après le dernier espoir des Cent-Jours.

Le Coz a aussi été un homme moderne et un farouche partisan de l’enseignement pour tous, mais bien entendu en accordant à l’Église une place privilégiée. En 1807, il est décoré pour avoir aidé à la propagation de la vaccine dans son diocèse et deux années plus tard, Fontanes le charge de mettre en place une académie d’enseignement à Besançon.

Il a aussi beaucoup écrit, des ouvrages « professionnels » comme  ses observations (Observations sur la célébration du dimanche, (1798)  ou ses lettres pastorales (Lettre pastorale du Citoyen Evêque métropolitain du Nord-Ouest…, 13 octobre 1792), des ouvrages engagés dans les sens religion/ république ou État (Accord de la religion catholique avec le gouvernement républicain, Lettre à M. de Beaufort, jurisconsulte, sur son projet de réunion de toutes les communions chrétiennes, proposé à Sa Majesté impériale et royale / par un Français catholique et Réponse à une lettre signée Lefranc…) Son Préservatif contre l’impiété, ou Recueil de pensées propres à démontrer l’existence de Dieu, le besoin d’une religion et la nécessité d’un culte public,  résume parfaitement la pensée de cet ancien jésuite voyant dans les bouleversements du temps l’occasion de restaurer une société dans laquelle le catholicisme (mais un catholicisme « des origines ») jouera un rôle essentiel tant sur les plans religieux que sociaux ou politiques. En dépit de ses activités nationales, il n’en reste pas moins attentif à ce qui se fait en Bretagne. Ainsi, vers 1800, il écrit Quelques détails sur La Tour d’Auvergne-Corret : premier grenadier de France, son ami et ancien condisciple de Quimper, un ouvrage qui ne sera publié qu’en 1815, après sa mort, par l’abbé Grappin.

Pour ceux qui souhaitent mieux connaître Le Coz, voir :

Correspondance de Lecoz et de Grégoire : 1801-1815, publié avec une introd. et des notes, par Léonce Pingaud, Paris, 1906.

Tous droits réservés François Labbé.

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