Cinquantenaire du CELIB

La Bretagne est, aujourd’hui, l’héritière d’une Armorique tri-millénaire qui connut l’alternance de profondes dépressions économiques, sociales et culturelles avec des périodes d’incomparable prospérité et d’intense rayonnement de l’esprit celte. Capitale de la nation gauloise des Osimes qui peuplait le Pen ar bed, Quimper a toujours joué un rôle majeur et original dans cette entité géopolitique armoricaine dont les avatars de l’histoire ne sont jamais venus à bout.
A notre époque, deux évènements capitaux pour la Bretagne ont marqué cette place tout à fait particulière que votre ville, Monsieur le Maire, tient dans son histoire. Le plus récent fut le discours prononcé dans votre cité, choisie à dessein par le Général de GAULLE, le 2 février 1969. Ce célèbre « discours de Quimper » demeure historique pour la France car il y annonçait la rupture de notre pays avec le monolithisme centralisateur et parisianiste. Historique pour la Bretagne sur le thème capital des désenclaments, en annonçant le plan routier breton, notamment.
Certes, pour les raisons que chacun connaît, la révolution institutionnelle annoncée à Quimper en 1969 ne fut pas concrétisée par le fondateur de la Ve République. Après la timide régionalisation pompidolienne, il faudra attendre celle de Gaston DEFERRE, dix ans plus tard, pour que ce changement s’ancre réellement dans notre paysage politique. En revanche, le dimanche 2 février 1969, c’est bien ici, à Quimper, que celui qui, à tant d’égards, a marqué l’Histoire de la France de cette fin de XXe siècle, a légitimé et ratifié, sur ces deux points essentiels, les aspirations et le mouvement nés du formidable événement qui s’était passé ici même, il y a tout juste 50 ans aujourd’hui, le 22 juillet 1950, lorsqu’une poignée de Bretons clairvoyants, audacieux et entreprenants fondèrent le CELIB.
Cheville ouvrière d’une modernisation de la Bretagne qui la fera passer directement du XIIIe au XXIe siècle ; fer de lance de la régionalisation dans un pays victime d’une centralisation multiséculaire ; promoteur de l’idée et de la pratique d’un aménagement du territoire, seul capable d’enrayer la désertification des régions périphériques et le déclin provincial ; inventeur des Pays, réconciliateur de l’économique, du social et du culturel, le CELIB a eu le rare privilège de périr, victime de ses succès.

Lorsqu’en ce lieu historique le CELIB naquit, il n’avait qu’un seul but : éviter que la Bretagne s’inscrive dans la liste noire des « régions dont la vie se retire », comme le dira René PLEVEN. L’éviter par tous les moyens. Tous les moyens légaux, bien sûr, mais ceux-ci furent déclinés avec pragmatisme sur de nombreux plans par les Celibiens qui surent, rare mérite, mettre l’imagination au service de la raison.
Le pari de la renaissance économique de la Bretagne fut tenu. En 1950, notre région était à la traîne de toutes les autres, Corse exceptée. Elle avait raté l’industrialisation du XIXe siècle et son agriculture était traditionnellement vivrière. Malgré les efforts de Jules RIEFFEL et de ses émules, la plupart des exploitations demeuraient chétives. Le commerce de mer était déclinant et la pêche lointaine, qui avait enrichi les Bretons du temps des trois glorieux siècles d’or du Duché de Bretagne, n’était déjà plus qu’un thème de roman ou un sujet de romances.
Aujourd’hui, la Bretagne est passée de la 20e à la 8e place des régions françaises pour le revenu disponible par habitant. Elle tient la première place dans des domaines aussi divers et importants que l’instruction de sa jeunesse, certains secteurs agroalimentaires, la recherche en matière de télécoms, etc. Elle se classe en 5e ou 6e rang dans de nombreux domaines dont celui du nombre de brevets déposés.
C’est au souffle celibien, ardemment, obstinément et généreusement insufflé pendant 30 ans par cette élite bretonne que nous devons d’avoir obtenu ce « miracle armoricain » qui ne fut, somme toute, que le fruit croisé d’une prise de conscience généralisée, d’une grande puissance de travail collective, d’un esprit d’entreprise largement diffusé et d’un retour de flamme du génie propre et des qualités celtes d’un vieux peuple armoricain.
D’emblée, ceux que Joseph MARTRAY et Jo HALLEGUEN avaient su rassembler dans cette mairie de Quimper, le 22 juillet 1950, eurent la vision d’un avenir salvateur fondée sur le retour aux sources de la prospérité bretonne des anciens temps. Mieux, ils surent en convaincre les meilleurs des élus politiques, des responsables syndicaux, des créateurs d’entreprises et des leaders de toutes sortes qui se rangèrent sous la bannière d’un CELIB qui symbolisera l’union sacrée des Bretons. Présidé par René PLEVEN d’abord, puis par Georges LOMBARD, continûment inspiré par son promoteur, Joseph MARTRAY, aiguillonné par Michel PHLIPONNEAU, puis managé par Georges PIERRET, pour ne citer que ces noms là, ce CELIB historique incarnera pendant 20 ans la pensée et l’action, unies au service d’une région, aménageant le présent et préparant l’avenir. Groupe de pression et club de pensée, amalgamant les différences et dynamisant les convergences, la quintessence de sa démarche demeure l’esprit celibien.
De cet acte fondateur de 1950 jusqu’à nos jours, directement d’abord puis au travers d’héritages aussi divers que le Conseil Régional, le Conseil Economique et Social, le Club des Trente, Passeport 2000 et la section administrative de la CRPM, etc., le CELIB a préparé, a précisé, a perfectionné quelques-uns des grands changements socio-politiques et économiques qui ont inversé le cours du destin breton tout en contribuant, de façon décisive, aux profondes mutations de l’organisation géopolitique de la France.
Je n’en reprendrai pas la démonstration. Il suffit de rappeler ici que le CELIB fut à la pointe des combats décisifs et finalement victorieux qui ont produit la modernisation économique de la Bretagne qui était son but de guerre. Ceux-ci se sont appelés la rénovation rurale, le plan routier breton, la bataille du rail bretonne, la décentralisation outre-parisienne de grandes usines et de multiples ateliers, le développement du complexe alimentaire breton, le modèle universitaire armoricain, la polarisation en Bretagne de la prodigieuse aventure des télécommunications françaises, le décollage, dans notre région, d’une recherche scientifique et d’un développement technologique de réputation internationale, etc.
Le CELIB fit mieux que fixer des objectifs aux Bretons. Il définit les voies et les moyens pour les obtenir. Il fut le principal laboratoire français de la politique d’aménagement du territoire. Il lança l’idée de Pays mais surtout, comme le reconnurent eux-mêmes le Général de GAULLE et Gaston DEFERRE, le CELIB fut l’initiateur de la Régionalisation.
Dès qu’apparurent les premiers signes du redressement breton, les Celibiens entreprirent d’en faire une sorte de résurrection collective en conférant au progrès économique, social et démographique des Bretons, une dimension intellectuelle et culturelle qui allait doubler leur retour à la prospérité d’une renaissance de leur fierté identitaire. Comme l’Italie aux XVe et XVIe siècles, la Bretagne connaît aujourd’hui une véritable Renaissance qui a extrait la culture bretonne du tombeau des pieuses traditions pour la promouvoir au rang de modèle mondial d’une culture celte revisitée par la modernité. Dans ce mouvement de renouveau culturel, Quimper a, là aussi, joué un rôle initiateur avec ce magnifique Festival de Cornouaille dont la date coïncide chaque année avec l’anniversaire du CELIB.
Enfin, last but no least, le CELIB a su, très tôt, prendre en compte la dimension européenne des problèmes de développement économique, social et culturel des Régions. Pressentant que la concentration lotharingienne des hommes et des richesses pourrait prendre, au niveau de l’Europe unie, le relais du séparisianisme français, Joseph MARTRAY, Georges LOMBARD et Georges PIERRET firent du CELIB la fusée porteuse d’une Conférence des Régions Périphériques Maritimes qui fournira à toutes les bretagnes d’Europe, un groupe de pression capable d’empêcher que le cours des forces géopolitiques reproduise, à l’échelle de notre continent, les schémas désastreux que le centralisme et le parisianisme avaient développés sous quatre dynasties capétiennes, deux empires napoléonides et quatre républiques françaises.
Monsieur le Maire, Monsieur le Président LOMBARD, Cher Joseph MARTRAY, la plaque qui commémorera désormais la naissance du CELIB en ces lieux, il y a un demi-siècle, rappellera heureusement ce fait historique majeur de l’histoire de la Bretagne. Le temps qui a passé et celui qui passera conduira néanmoins nombre de ceux qui la liront à se demander ce que fut ce Comité d’Etude et de Liaison des Intérêts Bretons. A leur intention, je voudrais qu’on puisse leur rappeler ce beau mot de Régine PERNOUD, qui écrivait que « la monarchie avait été une utopie du temps de la féodalité et que la république n’était qu’une utopie sous la monarchie ». En 1950, tout ce que le CELIB a contribué à réaliser en Bretagne et en France relevait de l’utopie. Ces utopies sont devenues réalités parce que des d’hommes se sont levés pour faire de notre bro dispar ce qu’il est devenu. Le CELIB fut une machine à transformer l’utopie en réalité et c’est en cela qu’il a été faiseur d’Histoire.
Il a été aussi le creuset de cet esprit celibien qui ressurgit opportunément chaque fois que le destin de la Bretagne paraît mis en cause, dans des circonstances aussi différentes d’apparence que semblables au fond, comme nous l’avons vu cette année encore avec le naufrage de l’Erika et la bataille pour le TGV Atlantique.
Aussi longtemps et aussi souvent que les responsables bretons retrouveront dans les moments essentiels et décisifs cet esprit qui transcende les clivages politiques, les divergences géographiques et les compétitions économiques, la Bretagne gagnera ses batailles du XXIe siècle et ce sera, ainsi, le CELIB qui la conduira à la victoire. Que vienne à périr l’esprit celibien, et les fatalités géopolitiques reprendront le dessus. Alors la Bretagne retournerait au délétère sommeil de la belle au bois dormant dont le CELIB avait décidé de la tirer il y a un demi-siècle aujourd’hui, ici même, à Quimper.
Claude Champaud