Depuis 700 ans, les hermines représentent les ducs de Bretagne
Lorsqu’ils apparaissaient, tous savaient que le duc de Bretagne était alors présent. Ce choix fut celui du duc Jean III, duc de 1312 à 1341, peut-être pour prendre les couleurs des Bretons, noir et blanc (ses troupes portaient la croix noir sur fond blanc), mais plus certainement pour montrer toute son autorité.
N’avoir aucune brisure, ni écartèlement dans ses armoiries signifiait que l’on était le chef de famille, d’une dynastie. Comme le roi de France avec son champ de lys d’or sur azur, le duc adopta un champ d’hermines sur sable. Il signifiait ainsi qu’il se détachait de la maison de Deux, ramage de la dynastie des Capétiens. En effet, jusque-là les ducs de Bretagne portaient le blason d’un prince de la maison royale de France, Pierre de Dreux (mort en 1250), second fils du comte de Dreux, qui épousa Alix de Thouars, duchesse de Bretagne par droit propre (de 1213 à sa mort en 1221) : échiqueté d’azur (bleu) et d’or (jaune) bordé de gueules (rouge) avec un franc-quartier d’hermines.
Les couleurs azur et or indiquaient bien sûr l’appartenance à la dynastie capétienne ; la bordure de gueules mentionnait que les Dreux étaient leurs cadets et le franc-quartier que Pierre était un cadet. Il est clair que cela faisait beaucoup de cadet pour Jean III qui pouvait se considérer comme un prince parmi les plus riches de l’Occident chrétien et qui était de surcroît (et cela depuis 1297) pair de France, c’est-à-dire qu’il avait le privilège de choisir, en cas de crise de succession, le nouveau roi de France.
Et en fait, c’est ce qui arriva en cette année 1316. Les Pairs du royaume, dont notre duc, avaient été contraints de valider le coup d’Etat du régent du royaume, Philippe de Poitiers, second fils du roi Philippe le Bel. Au nom de la loi salique inventée de toute pièce par les juristes du régent, à la mort de l’enfant-roi Jean Ier, seul fils du frère aîné de Philippe, ce dernier avait pu écarter de la succession au trône royal la sœur de Jean, Jeanne de France.
Il est vrai que même son père, Louis X le Hutin, suspecta qu’elle n’était pas de lui car son épouse Marguerite de Bourgogne avait fauté. Cependant, la maison ducale de Bourgogne était furieuse. Et Jean III de Bretagne pouvait l’être lui aussi, doublement. Il appartenait à cette maison car sa grand-mère maternelle était une fille du duc de Bourgogne et surtout le nouveau roi dénommé Philippe V favorisa nettement la belle-mère de Jean III, Yolande de Dreux. Yolande, veuve du roi Alexandre III d’Ecosse, s’était remariée avec le père de Jean III, Arthur II, alors veuf de Marie de Limoges, la mère de Jean III. Le couple avait eu six enfants, cinq filles et une fille. Et il est clair qu’Arthur II favorisa son second lit : il acheta avant de mourir le comté de Montfort-L’Amaury pour Yolande ; il octroya à ses filles des dots énormes, en argent et en terres ; il pourvut sa femme d’un douaire si considérable qu’il réduisait l’autorité de son successeur sur la Bretagne. Jean III, à son avènement de 1312, demanda au pape de considérer ce mariage comme nul. Ainsi ses demi-frères seraient déclarés illégitimes ; il n’aurait donc pas ni à leur payer dots ni héritages, ni à abandonner ses châteaux à Yolande.
Yolande résista et elle le pouvait car elle était proche des rois de France. En 1316, justement, comme par hasard, à peine fut-il monté sur le trône que Philippe V lui donna gain de cause. Pire, Jean III perdit un tiers de ses revenus et surtout les salines de Guérande et une des portes de la Bretagne, Saint-Aubin du Cormier. On comprend donc sa colère et son désir d’abandonner toutes références à la maison de Dreux.
Etrangement, en 1364, lorsque Jean de Montfort, fils du seul fils de Yolande et d’Arthur II, monta sur le trône breton après sa victoire d’Auray, il ne prit pas les armes de ses grands-parents, mais celles de Jean III. Il est vrai qu’il réclamait comme son père la succession de ce duc et qu’il fondait une nouvelle dynastie : les Montfort.